Martin Aurell, né à Barcelone le 23 février 1958, est mort ce 8 février. Devenu français en 1992, il était professeur d’histoire médiévale à l’université de Poitiers depuis 1994, où il dirigea longtemps le CESCM et dirigeait les Cahiers de civilisation médiévale.
Il fut l’un des plus grands historiens médiévistes de la fin du xxe siècle et du début du xxie. Il avait grandi dans le milieu des philologues catalans, et fit des études d’histoire et de linguistique romane à l’université d’Aix-en-Provence, notamment sous la direction de Noël Coulet, et au contact de Gérard Gouiran. Il était aussi diplômé de l’École pratique des hautes études en sciences historiques et philologiques. Cette double formation est fondamentale pour la compréhension de ses méthodes de recherche et, par conséquent, de ses résultats, qui ont profondément renouvelé des sujets qu’on pensait parfois bien connaître. Il fut, pour les études occitanes, à l’origine d’un nouveau regard porté par les historiens sur les textes littéraires des xiie et xiiie siècles. Dès la rédaction de sa thèse de doctorat sur la noblesse catalane, puis par ses travaux sur la portée propagandiste des textes de troubadours en Provence, il fut un savant à part, saisissant à bras le corps – c’est un trait fondamental de sa science –, à côté des sources documentaires, les sources littéraires et particulièrement la poésie politique et d’actualité lyrique et narrative (sirventès, chansons de geste, romans). De ses résultats nouveaux, et de la méthode qu’il contribua à créer, nous, philologues, avons pu bâtir d’autres histoires des textes et de la littérature, une nouvelle compréhension et de nouvelles interprétations (textes et contextes).
Après cette première période d’intérêt catalano-provençal, Martin Aurell avait ensuite déplacé son terrain vers la frange la plus occidentale de l’Europe, vers l’histoire de l’Aquitaine, et vers la lutte des Plantagenêts et des Capétiens, avec un intérêt particulier pour la souveraine duchesse Aliénor. Il venait d’ailleurs de recevoir parmi de multiples prix, celui de la biographie pour son dernier livre sur cette reine.
Il fut aussi l’un des tenants d’une recherche dépassionnée sur l’hérésie en Languedoc et un catholique conscient de la culpabilité de l’Église, qu’il saisissait à travers les voix de contestation de la croisade outre-mer comme en terres chrétiennes.
Il contribua à changer l’image du Moyen Âge, de l’espace de la langue occitane, et de sa littérature, auprès d’un large public par la renommée de ses travaux, due à leur rigueur, à leur nouveauté, à leur hauteur de vue, en plus de son infatigable goût de l’enseignement.
C’était un homme d’honneur et de devoir, ayant le sens du travail, du mérite, de la justice.
C’était aussi un homme bon et généreux, soucieux d’autrui et d’une très grande humilité, dont les paroles soutenaient dans le travail et réconfortaient dans la vie. Un homme aimé et aimant. Un modèle.
Marjolaine Raguin